En 2015, il a initié le développement de DeciTrait.
L’un des Outils d’aide à la Décision (OAD) dédiés à la protection du vignoble les plus complets sur le marché.
Aujourd’hui, plus de 500 viticulteurs utilisent cet outil pour sécuriser leur récolte. Et diminuer leur Indicateur de Fréquence de Traitements phytosanitaires (IFT).
Rencontre avec Alexandre Davy. Ingénieur œnologue. Chargé d’expérimentations à l’Institut Français de la Vigne et du Vin (IFV). Et responsable du développement de l’OAD DeciTrait.
Préparez-vous à apprendre :
➡️ Comment l’OAD DeciTrait a vu le jour
➡️ Pourquoi les viticulteurs apprécient cet outil
➡️ Quelles nouvelles fonctionnalités vont voir le jour
➡️ Quel sera le futur des outils d’aide à la décision en France
➡️ Quelles données météo choisir pour obtenir des préconisations fiables
Immanquable.
Bonjour Alexandre Davy. C’est un plaisir de vous rencontrer. Pouvez-vous, en quelques mots, présenter qui vous êtes ?
A.D. : Plaisir partagé. Je m’appelle Alexandre Davy. Je suis basé à Bordeaux et je co-pilote les équipes de l’Institut Français de la Vigne et du Vin (IFV) sur tous les sujets liés à la protection du vignoble.
L’IFV, pour ceux qui ne connaissent pas, c’est le centre technique de la filière viti-vinicole. Notre rôle, c’est d’accompagner les viticulteurs de la sélection du matériel végétal jusqu’à la mise en marché du vin.
En ce qui me concerne, j’ai beaucoup travaillé sur les techniques de pulvérisation et l’optimisation des doses de produits phytosanitaires à travers notamment le développement de l’outil Optidose Cet outil a pour vocation d’aider les viticulteurs à réduire la dose des fongicides qu’ils utilisent, lorsque c’est possible.
Plus récemment, j’ai supervisé le développement d’un outil d’aide à la décision, appelé DeciTrait.
Justement. Est-ce que vous pouvez-vous en dire un peu plus sur DeciTrait ?
Pourquoi avez-vous développé cet outil ? Et à quoi sert-il ?
A.D. : Il y a quelques années, nous avions mis en ligne le module Optidose. Lorsque le viticulteur a choisi de traiter, on le conseille sur la dose à appliquer. C’était une première marche mais on s’est vite rendu compte qu’il était possible d’aller beaucoup plus loin.
Alors on a imaginé un outil pour proposer aux viticulteurs un accompagnement de A à Z sur leur stratégie de protection. Le projet a débuté en 2015, avec l’aide de plusieurs partenaires de la recherche, comme l’Inrae, mais également du développement (chambres d’agriculture).
Ensemble, nous avons commencé à construire des règles de décision, puis à les tester. En 2020, après 5 années de travail, nous avons obtenu un outil, DeciTrait, que nous avons jugé suffisamment robuste et abouti pour être proposé aux viticulteurs.
Notre but, avec DeciTrait, c’est d’aider les viticulteurs à sécuriser la protection des raisins, tout en les accompagnant sur la réduction des intrants.
Quelles solutions les viticulteurs utilisaient-ils avant l’arrivée de cet OAD ?
Est-ce que DeciTrait a changé leur façon de travailler ?
A.D. : Aujourd’hui comme hier, l’expérience du viticulteur reste la pièce centrale. Ce qui change, en revanche, c’est qu’auparavant le conseil était quasi-exclusivement apporté par les distributeurs de produits phytosanitaires.
Avec DeciTrait, l’idée n’est pas de remplacer les conseillers mais de proposer un conseil indépendant en complément. L’objectif final reste d’accompagner les viticulteurs dans des démarches de réduction des intrants tout en sécurisant la récolte.
Existe-t-il d’autres outils de ce type ?
A.D. : Oui, il existe plusieurs OAD pour la protection des vignobles. Parmi les plus connus, on peut citer RimPRO ou Vitimétéo. En revanche, nous sommes les seuls à proposer une adaptation de la dose, avec le module Optidose.
On propose également une rémanence expertisée des traitements. Chaque fois qu’un traitement est renseigné, on indique la durée probable de protection en fonction du type de produit utilisé, du stade phénologique, des cumuls de pluie et de l’état sanitaire de la parcelle. C’est pratique pour savoir jusqu’à quand on est protégé.
Quelles sont les autres fonctionnalités clés de DeciTrait ?
A.D. : L’outil indique les périodes de contamination et de risque. Il fournit des conseils sur les dates de traitement pour le mildiou et l’oïdium. Il indique également si les produits utilisés contre le mildiou et/ou l’oïdium ont une efficacité sur le black-rot.
DeciTrait permet également de calculer l’indice de fréquence des traitements (IFT). Le viticulteur peut rentrer ses traitements pour obtenir une traçabilité simplifiée et réaliser ses bilans de campagne. Ce n’est toutefois pas un véritable logiciel de traçabilité.
Nous avons aussi créé un module pour calculer le coût des stratégies contre le mildiou, l’oïdium et le botrytis sur l’ensemble d’une campagne. Cela permet au viticulteur de comparer les coûts de ses différentes stratégies de traitement.
Et la météo dans tout ça ?
A.D. : Dans tout OAD, il y a des modèles qui tournent. Et ces modèles ont besoin de données météo pour fonctionner. Plus les données météo sont précises, plus les résultats du modèle sont fiables.
Ces données peuvent provenir de stations météo physiques mais il peut également s’agir de données spatialisées, c’est-à-dire obtenues à partir de radars.
Chaque solution a des avantages et des inconvénients. Si vous optez pour la météo spatialisée, par exemple, vous n’avez pas à entretenir votre station météo. Pas de batterie à changer. Pas de casse ni de risque de vol. Par contre, il s’agit d’une donnée calculée.
Résultat : il peut y avoir quelques écarts entre ces données météo et celles mesurées sur la parcelle. De plus, les données ne sont pas délivrées en temps réel, comme c’est le cas avec une station météo physique.
Quel que soit le choix retenu par le viticulteur, le plus important c’est que la donnée soit localisée sur l’exploitation. Parfois, il y a des OAD qui se connectent sur des stations situées à plus de 10 km des parcelles. Cela peut poser des problèmes en cas d’évènements localisés de type orageux et conduire à de mauvaises décisions.
Pour fonctionner, le modèle a besoin de connaître les conditions à l’échelle de l’exploitation ou – encore mieux – de l’îlot parcellaire.
Les utilisateurs de DeciTrait ont-ils réalisé des économies d’intrants ?
Si oui, de quel ordre sont ces économies ?
A.D. : Lors de nos essais en conditions expérimentales, nous avons suivi à la lettre les conseils délivrés par DeciTrait. Il en a découlé des économies d’intrants moyennes de l’ordre de 35 % sans pertes de récolte significative. En pratique, les économies sont très variables et nos utilisateurs sont plutôt autour de 10%.
Les raisons ? Nos essais ont été réalisés sur de petites surfaces et on pouvait être très réactifs dès que DeciTrait nous préconisait d’intervenir. Sur une grande surface, avec des contraintes techniques et humaines, c’est plus compliqué…
Et puis l’enjeu n’est pas le même. Si on a une perte de récolte pendant les expérimentations, ce n’est pas grave. Alors que pour un viticulteur, les conséquences économiques peuvent être importantes.
Il y a par conséquent une certaine aversion au risque chez les viticulteurs. S’ils peuvent économiser des traitements, c’est tant mieux, car au-delà des coûts, ça leur fait gagner du temps. Mais ils privilégient toujours la sécurité de leur récolte… et on les comprend.
C’est d’ailleurs l’autre rôle de DeciTrait : apporter plus de sécurité aux viticulteurs. L’outil peut les alerter dans certaines situations où le viticulteur pense être protégé alors qu’en réalité ce n’est plus le cas. C’est une sécurité supplémentaire.
Les OAD sont-ils très répandus en France ?
A.D. : Les OAD se développent de plus en plus mais c’est une technologie qui reste encore assez méconnue des viticulteurs et ce pour plusieurs raisons :
- La première, c’est qu’auparavant, le numérique pouvait faire peur à une partie de la population agricole, qui n’était pas à l’aise avec ces outils. Mais les choses changent. Aujourd’hui tout le monde a un smartphone ou un ordinateur entre les mains.
- La seconde, c’est qu’historiquement, les OAD et plus particulièrement les modèles étaient surtout utilisés par les conseillers. Avec DeciTrait, on a voulu sortir de ce schéma en proposant un OAD qui s’adresse directement au viticulteur.
Encore une fois : l’idée n’est pas de remplacer les conseillers. Au contraire, l’OAD peut être un lien entre le conseiller et le viticulteur et constituer un élément supplémentaire pour objectiver la décision de traitement.
Depuis son lancement en 2020, le nombre d’utilisateurs de DeciTrait ne cesse de croître et a déjà convaincu plus de 500 utilisateurs. Et ce n’est que le début. La réglementation se durcit. On demande davantage de traçabilité. Le métier devient plus technique.
Alors je pense que, de plus en plus souvent, les viticulteurs vont se tourner vers des Outils d’Aide à la Décision pour faciliter leurs prises de décision.
À quoi ressembleront les OAD dans 10 ans selon vous ?
A.D. : Il y a un grand pas à faire dans l’interopérabilité entre les outils. Tout le monde propose son outil dans son coin. Les viticulteurs disent stop ! Il faut que les outils se parlent entre eux pour éviter les doubles saisies et simplifier leur usage.
L’autre jour, je discutais avec un viticulteur qui m’a dit qu’il devait renseigner ses traitements 3 fois : une fois dans DeciTrait, une fois dans son logiciel de traçabilité et une fois dans l’outil de l’interprofession. C’est fastidieux.
Les outils de demain devront communiquer entre eux. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous avons développé un partenariat avec Weenat afin que les préconisations de DeciTrait soient disponibles directement dans leur application.
Toutes les données de DeciTrait® sont disponibles directement depuis l’application Weenat.
Ainsi, vous pouvez ajuster vos traitements pour réduire l’utilisation de produits tout en minimisant les risques de maladie.
Comment activer DeciTrait® sur vos parcelles ?
Pour activer les fonctionnalités DeciTrait® , connectez vous à l’application Weenat :
- Rendez-vous dans Administration,
- Puis Options
- Et sélectionnez DeciTrait®.
DeciTrait® est un outil payant. Toutefois son coût sera vite rentabilisé grâce aux économies d’intrants et aux gains de rendements que vous allez réaliser.
Quels sont vos prochains projets pour améliorer DeciTrait ?
A.D. : On vient tout juste de rajouter un module sur les résidus. Les viticulteurs vont pouvoir consulter une base de données afin de savoir si les matières actives contenues dans un produit ont tendance à se retrouver dans le vin.
Les résidus retrouvés dans le vin sont, dans l’immense majorité des cas, très inférieurs aux LMR (Limites maximales de résidus). Toutefois, certains viticulteurs souhaitent tout de même diminuer le nombre de résidus pour répondre aux attentes sociétales. Certains vont même encore plus loin et s’engagent dans la démarche zéro résidu de pesticide (ZRP), un label porté par le collectif Nouveaux Champs.
Autre nouveauté : on va ajouter un système de filtres pour aider les viticulteurs à trouver les produits les mieux adaptés à leurs besoins. Le viticulteur va pouvoir dire “je cherche un produit contre le mildiou qui n’est pas CMR, avec un Délai de rentrée inférieur ou égal à 24 heures et qui est également efficace contre le black-rot”.