Le Baromètre Agro-Météo – 2nd Trimestre 2023
Le 30 mars dernier, le gouvernement a présenté son Plan Eau, destiné à répondre aux défis posés par le dérèglement climatique.
Parmi les 53 mesures proposées, plusieurs concernent l’agriculture. Mais ces dernières seront-elles suffisantes ?
Car si les sécheresses ne sont pas un phénomène nouveau, leur fréquence et leur intensité augmentent rapidement. Et ce depuis plusieurs années.
Pourcentage de surface agricole affectée par la sécheresse en France entre 1959 et 2018
D’après les données de Météo France
Dans sa dernière édition, le Baromètre Agro-Météo de Weenat s’intéresse à la situation hydrique de la France et son impact sur la production agricole.
☀️ Quels sont les risques qu’une nouvelle sécheresse frappe la France en 2023 ?
💦 Quelles sont les régions agricoles les plus menacées par le manque d’eau ?
🌾 Quel est l’impact sur le développement du blé, du maïs et de la vigne ?
Réponses avec les experts agro-météo Weenat
Emmanuel BuissonDirecteur Recherche et Innovation et docteur en sciences de l’atmosphère
Pierre Giquel
Responsable Produit et ingénieur agronome
Sécheresse : le scénario du pire semble avoir été évité, mais pour combien de temps ?
Le début d’année a été sec. Très sec même. Entre le 1er janvier et le 6 mars 2023, il a plu 83,1 mm (en moyenne) sur tout le territoire français.
Soit 61 mm de moins que les normales de saison. Résultat ? Le déficit hydrique sur cette période a atteint 42% (1).
On redoutait par conséquent une nouvelle sécheresse en 2023. Mais les mois de mai et juin ont changé la donne. Au moins en partie.
Plusieurs épisodes pluvieux ont permis d’atténuer la sécheresse de surface. Si bien qu’au 20 juin, la France entre dans la normale pluviométrique des 30 dernières années.
(1) Source : Infoclimat.fr.
20% de déficit pluviométrique dans la vallée du Rhône
Toutefois, cette moyenne sur l’ensemble du territoire masque d’importantes disparités d’un département à l’autre.
Le spectre d’une sécheresse s’est pour l’instant éloigné sur la façade atlantique ainsi que sur le Nord de la France.
Sur les 6 premiers mois de l’année, le département de la Gironde affiche ainsi un excédent pluviométrique de 31%. Et la Somme un excédent de 15%.
En revanche, les terres agricoles de la Nièvre (-24%), du Morbihan (-23%) et de la Drôme (-20%) enregistrent toutes un déficit.
66% des nappes sont en dessous des niveaux moyens
Toutefois, ces pluies – souvent orageuses – ont peu rechargé les nappes, dont les niveaux étaient déjà dangereusement bas après la sécheresse de 2022.
Résultat ? Au 1er juin 2023, 66% des réserves souterraines sont toujours en-deçà des niveaux moyens, selon le BRGM.
“Les épisodes pluvieux de mai et juin ont permis de limiter la casse. La végétation a capté plus de 95% des eaux pluviales. Le risque d’une sécheresse de surface s’éloigne donc pour l’instant. Mais les nappes restent sous tension”, explique Emmanuel Buisson.
Plus de 30 départements en alerte
Par mesure de précaution, les agriculteurs devront par conséquent optimiser la gestion de la ressource en eau jusqu’à la fin de la saison.
D’autant que les usages de l’eau seront très contrôlés en 2023. Pour preuve : au 15 juin, plus de 30 départements sont déjà en alerte sécheresse.
Et plusieurs arrêtés préfectoraux limitent les prélèvements à des fins agricoles, notamment dans le nord des Pyrénées orientales et dans l’Eure-et-Loir.
Point d’étape : les cultures blé, maïs et vigne sont-elles en bonne voie pour la récolte 2023 ?
La météo, c’est la clé de voûte du métier d’agriculteur. Aucun facteur n’a plus d’impact sur les rendements et la qualité des récoltes.
À partir des données des 6 premiers mois de l’année, les équipes Weenat ont par conséquent analysé l’impact de la météo sur le développement du blé, du maïs et de la vigne en 2023.
Blé tendre : si la sécheresse se poursuit jusqu’à fin juin, les rendements seront pénalisés
Pour suivre une croissance normale, le blé tendre doit recevoir au moins 250 mm d’eau entre le 1er avril et le 30 juin.
En France, on cultive du blé sur presque tout le territoire. Mais les principales zones de production sont dans la moitié nord du pays.
Or justement.
“Au 20 juin, de nombreuses zones n’ont toujours pas atteint le seuil de 250 mm, en particulier dans le nord de la France”, observe Pierre Giquel.
Autrement dit : s’il ne pleut pas davantage au cours des 10 prochains jours, les rendements du blé dans certaines régions risquent d’être pénalisés par le manque d’eau.
Maïs : un début de campagne prometteur dans les grandes régions de production
Et côté maïs, quelles sont les nouvelles ? Cette fois, il faut s’intéresser à un autre indicateur agro-météo : les degrés jours en base 6.
🌸 On estime par exemple que, pour les variétés précoces, la date de floraison du maïs fourrage est atteinte entre 825 et 870 degrés jours en base 6.
🌽 Puis, lorsque ces cumuls atteignent 1390 à 1500 degrés jours (toujours en base 6), on sait que la date de récolte du maïs approche.
Grâce aux degrés jours, il est donc possible de prévoir les stades de développement d’une culture, et de les comparer d’une région à l’autre.
Bon à savoir :
Les degrés jours correspondent à la moyenne entre la température maximale et minimale de la journée à laquelle on enlève la température de référence appelée “zéro de végétation”. Il s’agit de la température en dessous de laquelle la plante ne se développe pas.
DJ = (Tmax + Tmin)/2 – Tréférence
Pour le maïs 🌽 , cette température de référence est fixée à 6 °C. On parle par conséquent de degrés jours en base 6.
Ainsi, si aujourd’hui la température maximale est de 25°C et la température minimale de 14°C, le cumul des degrés jours en base 6 de la journée sera de (25+14)/2 – 6. Soit 19,5 – 6 = 13,5 TB6 °C.
Sur la carte ci-contre on constate par exemple que le développement du maïs grain est très bon dans le Sud-Ouest de la France.
Même constat du côté du maïs fourrage. L’une des Petites Régions Agricoles de la Meuse enregistre un cumul de température en base 6 de 20% au-dessus des valeurs climatologiques des 10 dernières années.
Bon à savoir :
Petites Régions Agricoles (PRA) : il s’agit de zones agricoles homogènes, tant par la nature des sols que pour les conditions climatiques et la vocation dominante des exploitations agricoles. En France, une région agricole (RA) est définie par un nombre entier de communes formant une zone d’agriculture homogène (elle peut être à cheval sur plusieurs départements). Le croisement entre les régions agricoles et les départements détermine les Petites Régions Agricoles (PRA). Il en existe aujourd’hui 714 en France (Source Agreste).
Pour une meilleure compréhension des impacts de la météo sur l’agriculture française, les cartes produites par Weenat utilisent ce découpage en PRA.
Vigne : le cépage Chardonnay en avance sur sa floraison. Le millésime 2023 est-il en bonne voie ?
Selon l’Agreste, la production viticole en France avait atteint 44,6 millions d’hectolitres en 2022. Soit 4% de plus que la moyenne quinquennale, et surtout 18% de plus qu’en 2021, annus horribilis pour les viticulteurs français.
Quid du millésime 2023 ? Il est encore (un peu) trop tôt pour se prononcer. Cependant, le Chardonnay se développe pour l’instant très bien, le gel de printemps a très peu impacté les viticulteurs et les dates de floraison sont en avance sur la plupart des secteurs.
Les équipes Weenat ont par exemple étudié la maturité de ce cépage – le Chardonnay – dans trois régions viticoles : le Languedoc Roussillon, la Champagne et les plateaux de Bourgogne dans le Chablis.
“On sait que pour le cépage Chardonnay, il faut 350 degrés jours en base 10 à partir du 1er janvier pour atteindre la date de floraison. Tant que ce seuil n’est pas franchi, la vigne n’est pas en fleurs”, explique Pierre Giquel.
Sur les graphiques ci-dessous, on voit que l’année 2023 (en orange) est exceptionnellement précoce dans le secteur viticole du Languedoc-Roussillon, par rapport à la moyenne des 40 dernières années.
“Les vignes sont en fleurs depuis le 20 mai dans le Languedoc-Roussillon. Car l’hiver a été très doux sur le pourtour méditerranéen. En Champagne et à Chablis, on observe une date de floraison d’environ 10 jours d’avance, malgré une date de débourrement très proche de la moyenne” observe Emmanuel Buisson.